Pixfan : Comment est née cette série ?
En 2013 je suis en Égypte pour couvrir la destitution du Président Morsi et l’arrivée au pouvoir du Général Abdel Fattah al-Sissi. Tout au long de ces mois , j’essaie de comprendre quels sont les différents mouvements et raisons qui ont engendré cette situation . Parmi les rapprochements que je vais réaliser , il y aura celui avec la communauté copte qui était alors la cible de nombreux attentats.
Par effet de dominos, et grâce à mon intérêt pour cette communauté, je fais la découverte des zabbâlin, plus communément appelés les chiffonniers du Caire.
De part la tension qui règne alors dans la capitale à cette époque mais aussi et surtout à cause de nombreux préjugés , mon entourage au Caire me déconseille vivement de me rendre dans cette communauté où aucun taxi ne voudra de toute façon se rendre.
Curieuse de comprendre ce qui peut animer 37 000 individus qui vivent à la périphérie du Caire, je vais tout mettre en place pour être en mesure de m’y rendre.
Les premiers contacts ont été particulièrement difficiles car les habitants étaient très suspicieux quant à la présence d’une femme européenne dans un lieu où s’entassent quotidiennement des tonnes de déchets d’une ville de plus de 20 millions d’habitants, dans une chaleur étouffante et des odeurs pestilentielles ,
A l’époque, même si c’est encore un peu le cas il était quasiment interdit de prendre des photos au Caire , ou dans ses environs sans être arrêté.
Tout photographe étranger était alors assimilé à une menace potentielle quant à ce qui était entrain de se mettre en place.
C’est donc dans cette atmosphère que je vais faire mon entrée dans la communauté des zabbâlins.
J’y suis d’abord allée une journée… puis y suis retournée… encore et encore. Les personnes dans les ruelles avaient fini par retenir mon prénom et j’ai commencé à m’assoir avec eux dans les déchets , à accepter les nombreux thé qui m’étaient offert .J’ai commencé doucement à m’intégrer dans le paysage , à me faire accepter par quelques personnes puis par un plus grand nombre et nous avons ainsi pu commencer à communiquer.
Et puis un jour, au détour d’une ruelle, dans un cul de sac je vais rencontrer Les Magiciens de l’Aluminium. Cette rencontre a été pour moi un moment intense car je n’avais jusque là pas soupçonné leur présence et leur activité.Le sentiment d’avoir pénétré une strate supplémentaire , un univers inconnu .
Dans ce monde d’hommes, une femme étrangère a pu paraitre au départ surprenant et puis là aussi j’ai pris le temps de venir et revenir encore et encore. Ce n’est qu’ après toutes ces visites, que j’ai commencé à faire quelques clichés.
Très rapidement j’ai du faire face à de nouvelles difficultés à savoir la chaleur des fours qui pouvait endommager mon appareil photo mais aussi l’incroyable poussière qui se dégage de cette activité.
Étant complètement séduite par ces travailleurs de l’aluminium qui sont spécialisés sur le recyclage des canettes de soda,je me suis alors focalisé sur l’activité de ces hommes.
Durant mes premières visites je m’efforçais de respecter un espace entre homme et femme, distance qui est venu tout naturellement s’imposer à moi. Avec le temps cet espace s’est considérablement restreint. Ne parlant pas l’arabe ou très peu, c’est grâce à ce respect que les relations se sont construites.
Je repensais alors aux conseils bienveillants de mes amis égyptiens qui m’avaient mise en garde quant à la dangerosité de cette communauté.
J’ai alors décidé que mon reportage aurait pour objectif de tenter de renvoyer une autre image de ces personnes, d’illustrer aussi le fait qu’à partir de ce qui était devenu inutile pour 20 millions de personnes , 37 000 personnes pouvaient en vivre en créant une économie parallèle: To do usefull with useless!
Après plusieurs mois, j’ai réalisé un petit livre photos de mes premiers clichés en 20 exemplaires et je suis repartie à la rencontre des Magiciens de l’Aluminium. La découverte de ce livre a eu un formidable effet car ces travailleurs avec qui j’avais passé plusieurs jours n’avaient sans doute pas compris au préalable quel était mon objectif.
L’effet miroir avait fonctionné et un homme que j’avais rêvé de photographier et qui avait jusque là refusé s’est vigoureusement manifesté.
Voyant qu’il n’était pas dans le livre , il s’est alors ouvert et toute une série de clichés est née .
Lors de mes reportages, j’ai besoin de vivre avec les personnes que je photographie , de me mettre à la même hauteur afin de mieux appréhender leur quotidien . C’est ainsi que j’ai demandé pour être hébergée dans une famille afin de partager leur quotidien !
Je crois qu’il ont été très touchés par cette demande et c’est ainsi que j’ai vécu plusieurs jours à différentes reprises chez Mousa , jeune travailleur de 15 ans .
Chaque matin, devant les habitants du quartier, il était fier de sortir de chez lui avec moi pour aller au four artisanal de son père et cela m’a considérablement aider dans la réalisation de ce reportage.
Ce travail a été réalisé sur un espace temps de 18 mois avec des visites régulières. Aujourd’hui je suis toujours en contact avec les Magiciens de l’Aluminium et ils sont d’ailleurs les premiers auxquels j’ai envoyé les photos de l’exposition de BarrObjectif.
Isabelle SERRO Les magiciens de l’aluminium
Pixfan : Qu’est-ce que ce reportage vous a appris ?
I. SERRO : Ce reportage m’a conforté dans ma démarche de photographe humaniste:
Tout comme il est important pour moi de prendre le temps de rentrer en relation avec les personnes avant de les photographier , il est tout aussi essentiel pour moi une fois le reportage terminé de partager avec elles les différentes publications , expositions ou parutions.
C’est ainsi que ce reportage « Les Magiciens de l’Aluminium » a pris tout son envol en étant publié en mai dernier dans Le Figaro Magazine puis ensuite en Espagne ,
Beaucoup de personnes avaient essayé de me dissuader dans la réalisation de ce projet tant au niveau de l’aspect sécuritaire mais aussi sur le risque de redite sur un sujet traité de nombreuses fois .
Je suis donc heureuse d’avoir été obstinée et de m’être accrochée à mon idée première. Je suis sortie de ce reportage beaucoup plus riche et surtout heureuse de voir que ces Magiciens de l’Aluminium poursuivent leur envolée au travers de différentes expositions et publications .
Pixfan : Pouvez-vous nous décrire votre parcours photographique, vos sources d’inspiration, les photographes que vous admirez ?
I. SERRO : Je n’ai fait aucune école photographique ! J’ai appris sur le terrain et me suis enrichie auprès des différents photographes que j’ai croisés sur ma route .
Des photographes comme Ed Kashi ont su me donner cette envie de mettre en pratique nos échanges mais aussi et surtout de ne pas hésiter à sortir de ma zone de confort pour aller au devant de situations nouvelles.
J’ai eu la chance ces dernières années de rencontrer des personnes dans cette grande famille qu’est la photo qui m’ont permis de mettre en forme et en vie ce que je souhaitais communiquer . Je pense à la photographe Jane Evelyn Atwood, au Rédacteur Dimitri Becq du Magazine Polka ou encore à Veronique Sutra de Eyes in Progress.
Et puis tous ces photographes passionnés, amateurs ou professionnels reconnus qui dans tous les échanges que nous avons eu m’ont permise de m’enrichir chaque jour un peu plus.
De tous ces échanges est né un Collectif de photographes Dalam Images. Je me félicite de voir que ce tout jeune collectif auquel j’appartiens a été très généreusement représenté cette année puisque ceux sont 5 photographes sur 7 qui ont été exposés lors du festival BarrObjectif 2015:
– Alison Mac Caulley
– Sylvain Demange
– Julien Ermine
– Jacques PION
Pixfan : Quel est votre actualité photographique dans les prochains mois ?
I. SERRO : Après une première partie de l’année très riche en expositions, les prochains mois vont être dédiés à finaliser avec la même approche que celle utilisée pour Les Magiciens de l’Aluminium, deux sujets sur lesquels je travaille depuis plus d’une année.
Reporter photographe, Isabelle s’inscrit au travers de ses travaux dans une démarche humaniste. En 2013, elle reçoit le 3éme prix de la Photographie de l’Année dans la catégorie humaniste avec « Danse autour de la Terre » issu d’un reportage réalisé à Madagascar pour l’ONG » Les Enfants d’Akamasoa ».
Plus récemment, la photographe est partie en Turquie et en Egypte pour couvrir les derniers mouvements sociaux et politiques, ses univers sont multiples et variés mais l’être humain en est toujours le centre.
Site personnel Isabelle SERRO : http://isabelleserro.com/
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