Comme New York, Londres ou Rome, Paris est une ville qui fait rêver le monde entier et un excellent sujet à photographier. Mais peut-on tout photographier sans risque à Paris ?
Prendre des photos est une liberté d’expression dont chacun dispose. Fondement de toute démocratie, la liberté d’expression est un droit humain fondamental énoncé à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Ceci étant dit, cette liberté doit être en accord avec le droit à l’image des personnes et dans certains cas des biens mais aussi le droit d’auteur et la sécurité publique. Des règles existent et il est utile de les connaître.
Le droit à l’image des personnes
La France est le pays au monde où le droit à l’image est le plus développé. Ce que dit la loi « Votre image est une donnée personnelle. Vous avez donc un droit sur son utilisation et vous pouvez vous opposer à sa conservation ou sa diffusion publique sans votre autorisation, sauf cas particuliers. Si ce droit n’est pas respecté, vous pouvez obtenir réparation du préjudice auprès des tribunaux. »
Ce droit à l’image est fondé sur l’article 9 du code civil. Il permet à toute personne reconnaissable de s’opposer à la captation ou la diffusion de son image, sans autorisation expresse et préalable de sa part.
Cependant si ce droit à l’image était strictement appliqué, il rendrait impossible tout travail artistique dans la rue et s’opposerait à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».
Par conséquent, vous avez le droit de prendre en photos les gens dans la rue parce qu’il y a un principe fondamental dans une démocratie qui est le principe de la liberté d’expression et par extension la liberté d’expression artistique.
La jurisprudence du cas de François-Marie Banier contre Isabelle Chastenet de Puységur.
Les 12 et 23 janvier 2006, Isabelle Chastenet de Puységur a assigné les Éditions Gallimard et François-Marie Banier devant le tribunal de grande instance de Paris pour atteinte au droit à l’image et au droit au respect de la vie privée du fait de la publication d’une photographie prise à son insu au sein du recueil Perdre la tête. Après avoir été déboutée en première instance, sa demande est à nouveau rejetée par la Cour d’appel de Paris le 5 novembre 2008 qui a rappelé que le droit à l’image devait se concilier avec le droit à la liberté d’expression, précisant qu’en «absence de toute atteinte à la dignité humaine, il convient de privilégier la liberté d’expression sur le droit à l’image de personnes».
La jurisprudence expliquée par Joëlle Verbrugge : La Jurisprudence ne perd pas la tête.
A la lumière de ces éléments, il convient donc de distinguer l’utilisation artistique de l’utilisation commerciale. Dans le cadre d’une utilisation commerciale, une autorisation est donc nécessaire quel que soit le lieu, public ou privé, dans lequel la personne a été prise en photographie ou filmée. Toute atteinte au droit à l’image constitue une violation de la vie privée.
Cependant, certaines images ne nécessitent pas d’autorisation. Il s’agit par exemple :
– d’images d’événements d’actualité qui peuvent être publiées sans l’autorisation des participants au nom du droit à l’information (image de journalisme) ou de création artistique,
– d’images de personnalités publiques dans l’exercice de leur fonction (par exemple, les hommes politiques) à condition de les utiliser à des fins d’information,
– d’images illustrant un sujet historique…
– d’images si la personne n’est pas identifiable car la personne est prise de dos ou que l’image est floue…
Pour photographier des personnes mineures, l’autorisation des parents (ou du responsable) doit obligatoirement être obtenue par écrit. Il n’y a pas d’exceptions possibles. Pour les groupes d’enfants, l’autorisation écrite des parents de tous les enfants est obligatoire.
Il est également bon à noter que ce n’est pas parce qu’une personne a dit « oui » pour la photographier, que l’on a pour autant le droit de diffuser son image.
La tour Eiffel vue depuis l’esplanade des Invalides
© Antony Barroux
Le droit à l’image des biens
Il n’y a pas, en principe, un droit à l’image des biens. Toutefois, un propriétaire peut s’opposer à l’utilisation de l’image de son bien si cela lui cause un trouble anormal. La jurisprudence s’est construite à partir de l’article 544 du Code civil :
« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
Un droit à l’image des biens est peu à peu apparu sous l’impulsion de trois arrêts significatifs de la Cour de Cassation.
– L’arrêt du 10 mars 1999, le café Gondrée
La propriétaire s’opposait à l’exploitation commerciale d’une carte postale. La Cour de cassation lui a donné raison « l’exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire ».
– L’arrêt du 2 mai 2001, l’îlot du Roch Arhon ou « la petite maison coincée entre deux rochers en Bretagne »
La Cour de Cassation a renversé sa propre jurisprudence. L’exploitation commerciale de l’image du bien n’est plus suffisante pour constituer une atteinte au droit de jouissance. Il faut faire la preuve du trouble.
– L’arrêt du 7 mai 2004, l’hôtel de Girancourt
La a notion de « trouble certain » passe à celle de « trouble anormal ». La Cour de cassation décrète que :
« le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal »
Les oeuvres architecturales
En théorie, leur autorisation est nécessaire pour reproduire l’œuvre mais la jurisprudence admet que l’on puisse se passer d’autorisation si l’œuvre n’est pas le sujet principal de l’image.
De nombreux ouvrages tels que les bâtiments, des sculptures ou encore des fontaines peuvent être l’objet de droits d’auteur.
Les droits patrimoniaux d’auteur
Selon l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, « toute reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. ».
Le droit d’auteur confère deux types de droits : le droit moral qui protège les intérêts non économiques de l’auteur. les droits patrimoniaux qui permettent au titulaire de droits de percevoir une rémunération pour l’exploitation de ses œuvres par des tiers.
Les droits patrimoniaux d’auteur s’étendent jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur. Une fois passé ce délai, l’œuvre tombe dans le domaine public et peut alors être reproduite sans l’autorisation de l’auteur et donc sans s’exposer à une action en contrefaçon.
Les cas d’architectes qui ont perçu des droits d’auteurs sur des photographies d’immeubles sont extrêmement récents et peu nombreux en France. Cependant, les actions de l’ADAGP ont marqué les esprits. Cette association privée a pour mission d’aider ses adhérents à faire payer des droits d’auteur par tous ceux qui publient des photos de leurs œuvres artistiques, y compris celles d’œuvres architecturales. Elle représente actuellement près de 170 000 auteurs de plus de 40 disciplines différentes.
Droit d’auteur des œuvres architecturales en France (Wikipédia)
Quels sont les monuments concernés (liste non exhaustive) ?
La pyramide du Louvre, La Géode, le centre Pompidou, l’Arche de La Défense, La tour Eiffel de nuit.
Et le métro ?
Les droits sur les œuvres architecturales du métro donnent lieu au paiement d’une redevance à la RATP, les œuvres de Paul Andreu, Joseph-André Motte ou encore celle d’Adolphe Dervaux. En revanche, pour les œuvres tombées dans le domaine public comme celles d’Hector Guimard ou Joseph Cassien-Bernard, aucune rémunération n’est due.
Le domaine public
A Paris les œuvres architecturales suivantes sont entrées dans le domaine public : l’Arc de Triomphe, le Dôme des Invalides, l’Hôtel de Ville, l’Obélisque de la Concorde, l’Opéra Garnier. La Tour Eiffel est entrée dans le domaine public mais ce n’est pas le cas de nuit où l’éclairage est protégé au titre du droit d’auteur.
Certains droits d’auteur dits moraux sont perpétuels, ils permettent de faire respecter notamment le nom de l’auteur, l’intégrité et le respect dus à son œuvre contre une atteinte physique ou contextuelle.
Les exceptions
Certaines exceptions permettent de neutraliser les droits d’auteur :
L’exception d’accessoire ou d’arrière-plan permet de se passer d’autorisation de l’auteur si l’œuvre est accessoire par rapport à la photographie prise dans son ensemble.
L’exception de panorama permet de neutraliser le droit d’auteur pour les photographies d’œuvres architecturales et de sculptures placées en permanence sur la voie publique (donc les œuvres éphémères n’en font pas partie) à condition que cette photographie ne soit pas utilisée à titre commercial.
Enfin, pour des raisons liées à la sécurité de la nation, photographier certains bâtiments parisiens est interdit et notamment en photographie aérienne. Les abords peuvent également être soumis à des restrictions ou des interdictions.
Liens utiles :
Photographier et filmer sur la voie publique à Paris: comment faire ?
Source : Ville de Paris
Article mis à jour le 24/03/19.
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Bonjour,
il me semble que l’avis de Joëlle Verbrugge diffère sur la question du droit à l’image des personnes.
https://www.youtube.com/watch?v=PVypp_zz7Oo&feature=youtu.be&fbclid=IwAR3SRzJafWf4Wf47Uz8xBf3N4bUGl-dDQq7GKbKYo_WeowYW0sft8hcqoIQ
mais je peux me tromper.
Alain
Bonjour,
En effet très bonne vidéo et très bonne remarque, Joëlle Verbrugge fait la distinction entre une photo artistique et une photo commerciale qui nécessite dès lors l’autorisation.
Cordialement,
Aucune loi ni aucune jurisprudence interdit de prendre une photo dans un lieu public, il est donc faux d’écrire que l’article 9 du code civil permet à toute personne reconnaissable de s’opposer à la captation la de son image … »
C’est la seule diffusion de la photo d’une personne reconnaissable, et sujet de ladite photo, qui est soumise à autorisation , voir pour plus de détails le site de Joêlle Verbruge précité.
Bonjour,
Tout à fait, je vais modifier la formulation qui n’est pas claire sur ce sujet.
Merci pour votre remarque.
Cordialement,